« Madame, monsieur, la bienvenue ! Vous n’avez pas réservé ? Il nous reste des chambres. Et même la suite du Dey ! Veuillez je vous prie laissez vos bagages, Monsieur Ali va s’en charger…
Monsieur Ali ? S’il vous plaît, vous conduirez madame et monsieur…
Vous n’êtes encore jamais venus à Alger ? Vous verrez : c’est une ville magnifique, vous ne serez pas déçus. Signez ici, je vous prie. Voilà, merci.
La tenture ? Ah, vous n’êtes pas les premiers à poser la question… Elle cache un tableau un peu spécial… C’est la plus belle peinture de l’hôtel : il paraît qu’elle date de sa fondation même, du temps des débuts de la colonisation… Les goûts ont changé depuis lors, ce qui fait que nous ne l’exposons plus. Mais comme il paraît qu’une légende s’y attache, il est proscrit de la déplacer. Voir le tableau ? Mais bien sûr !

Monsieur Ali, tenture !

Chapitre huit : un frais souffle d’air (5/5)

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Cinquième épisode

le monologue du robin

« Dubois Hippolyte, maître queux, c’est ça ?
– Euh…
– On plaisante… Cuisinier ?
– C’est ça.
– Bon ben toi, tu vas tout de suite par là… Régime de faveur, le colonel t’attend. »

Le scribouillard indiqua de la plume un homme à cheval qui se tenait un peu en retrait. Dubois prit sa direction.
 » Monsieur, lui dit le cavalier, je me nomme Mussé de Lantrac, colonel de l’armée française, j’ai ordre de vous amener à son excellence Monsieur le Procureur-général, qui souhaite s’entretenir avec vous, je vous prierai donc de m’accompagner sans esclandre…
– Et mes menottes ?
– On vous les ôtera plus tard, suivez-moi, nous allons au palais, c’est la grande bâtisse que vous voyez là, avec la grande horloge… Hâtons-nous, monsieur le Procureur-général nous attend. « 

Quelques minutes plus tard, Dubois fut introduit dans le bureau du Procureur-général. Celui-ci l’accueillit avec bonhomie (« Ah, voici notre jeune protégé ! »), s’indigna des chaînes qui entravaient sa marche et les fit enlever. Puis déclara à Dubois que les conditions d’un entretien paisible lui semblaient maintenant réunies.

 »  Voyez-vous, poursuivit-il, vous avez bien de la chance : votre père, qui est aussi un glorieux soldat, a su nous présenter la cause de votre conduite sous un jour favorable, si bien que l’autorité que je représente ici pense qu’il est juste de revoir votre condition, pour autant que vous acceptiez le marché que je vais vous proposer, bien entendu… Vous l’avez entendu, jeune homme, tout est à faire ici et les bras manquent. Et quand je dis que tout est à faire, figurez-vous qu’il manque à Alger certaines infrastructures essentielles. Enfin bref, je vais au but : il y a ici un chantier très important qui s’achève et nous avons pensé, vu votre métier, que vous pourriez accepter d’y participer…
– C’est à dire que…
– Laissez-moi terminer, jeune homme, je répondrai à toutes vos questions par la suite. Mais avant tout, permettez-moi de vous préciser une chose : je ne suis pas homme à me satisfaire d’un refus.
– Monsieur le…
– Il suffit ! Vous devez savoir que votre sort dépend de votre réponse, mais également celui de vos compagnons. Me suis-je fait bien comprendre ? Vous n’avez qu’un mot à dire et vous serez rendus à l’armée. Tous affectés à des travaux de fortifications.. Vous serez bien entendu entravés et, comment dire, eh bien disons que vous aurez tellement faim et soif, vous et vos semblables, qu’une mort rapide vous attend. C’est que voyez-vous, nos ressources sont limitées et nous devons faire des choix dans leur distribution.
– Oui, répondit Dubois.
– Bien, bien, je vois que vous commencez à réfléchir, c’est bien. Je vais faire avertir Monsieur Dejazet que nous disposons à présent d’un futur maître queux. Vous pouvez disposer, jeune homme, je crois que votre père sera satisfait de savoir que vous êtes à présent rendu à la raison… Vous pouvez disposer, vous êtes libre, on viendra vous quérir dans l’antichambre. « 

Dubois demeurait depuis un bon quart d’heure devant le bureau du Procureur-général. On lui avait apporté un siège et proposé de s’asseoir, un soldat était venu lui porter un verre d’eau coupée au café. « Tiens citoyen, tu peux boire par petites gorgées, le premier ennemi, ici, ce n’est pas le régime, c’est la soif. » Dubois lui avait souri. Le soldat avait continué
« Alors, ça a été avec le bavard ?
– Ben, je n’en ai pas placée une.
– Oh ça, c’est normal. Il ne faut surtout pas lui couper la parole… C’est ça que nous autres on l’appelle le bavard.
– Ce n’est pas le seul. Depuis que j’ai été fait aux pinces, je passe devant des gens qui parlent comme s’ils savaient ce que je pense et ce que je vais dire. Ici, ça a été le même. On m’a mis un marché en main… que j’avais pourtant déjà accepté. S’il me l’avait demandé, je le lui aurais dit. Au lieu de ça, il m’a menacé.
– C’est normal, comme tous les robins.
– Ben, c’est malin. Avec ça, je ne sais toujours pas au juste à quoi on me destine. On m’a parlé d’un Dejalet…
– Dejazet ? Ah, lui, je le connais. C’est celui qui s’occupe du chantier du Grand Hôtel. Eh bien, dans un sens, tu as de la chance, car ce Dejazet a bonne réputation mais d’un autre côté, c’est la grande affaire de Saint-Maur. Le bavard va tous les jours sur le chantier. Il faut absolument qu’il soit achevé pour je ne sais pas quand. Et le préfet aussi. Et tous les gros de la place. Enfin bref, tout ce qu’Alger compte de notables a les yeux rivés sur le chantier. Regarde, viens voir à la fenêtre ! Tu vois les échafaudages là-bas, avec les types qui vont et viennent ? Eh bien c’est le chantier, c’est là que tu vois. Et regarde, regarde, tu vois le type qui traverse la place, avec le chapeau ? Eh bien c’est lui, c’est Dejazet, c’est ton patron. »

La suite lundi, dans un nouvel épisode.

Chapitre huit : Un frais souffle d’air (4/5)

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Quatrième épisode

une planche de salut

Dubois pas plus qu’un autre : pas un n’avait fait un pas. Lorsqu’il avait entendu l’appel de son nom, Hippolyte avait regardé à sa droite et à sa gauche. Bien qu’un peu hésitant, il s’était ensuite raidi dans une posture arrogante.

D’une voix grondante; le préfet fit appeler à nouveau. « Il suffit, dit-il, cette mascarade a assez duré. Nous nous sommes mal compris ! Que ceux qui ont leur nom cité sortent du rang ! À défaut, je devrai prendre des mesures. Mais enfin, que croyez-vous ? Je suis votre préfet… Dans sa générosité, la France vous offre une seconde chance, une planche de salut ! Ah, mes amis, les raisons pour lesquelles vous fûtes condamnés ne me regardent pas et ne vous vaudront jamais ma désapprobation. À vrai dire, le passé m’importe peu… La France compte maintenant trois départements de plus. Tout est à y faire : il n’y a rien ou presque : pas d’administration, pas d’infrastructure, pas ou peu d’habitants, encore moins de Français. En quelque sorte, nous apportons les lumières de la civilisation dans une contrée barbare et dépeuplée. Or pour accomplir cette mission sacrée, il est besoin de certaines compétences. C’est cette cause qui m’amène à vous accueillir ici, en ce jour. Seul le futur m’intéresse ! La grande entreprise qui verra la transformation d’un port barbaresque en une grande cité portuaire, dans cette baie qui est le sourire de l’Afrique ! Mes chers compatriotes, voici ce que je vous propose : de participer à ce grand chantier. Donc, monsieur le commissaire ici présent va procéder une fois encore à l’appel de vos noms. Lorsque vous entendez le vôtre, vous vous dirigerez vers la direction qu’on vous signale. Là, on vous indiquera la tâche qui sera vôtre : maçonnerie, charpente, etc. Si l’un d’entre vous n’est pas nommé mais est cependant volontaire, qu’il avance également, de l’ouvrage lui sera proposé. Il va sans dire que nous apprécierons chaque manifestation de bonne volonté et qu’à l’inverse… enfin, nous nous sommes bien compris. J’ajoute que vous serez immédiatement libérés de vos chaînes et qu’une collation vous sera offerte, grâce à la générosité de monseigneur Pavy, le très charitable et dévoué évêque d’Alger. Allons, procédons ! »

« Albert Louis, charrrrr-pentier ! un pas en avant ! ». Silence : Louis Albert ne se manifeste pas.
« Bricolet Marianne, lavandière ! Un pas en avant ! ». Silence : Marianne Bricolet ne se manifeste pas.
Au cinquième nom, enfin, Castel Octave sort du rang. Il y a comme une sorte de murmure qui accompagne le geste. « Bien, dit le héraut, tu vas par là ». Il lui montre un petit groupe de Français, deux, trois gendarmes, des prêtres et des soldats, des ouvriers avec des pinces et des tenailles : « on va te donner ton affectation, un coup à boire et tes chaînes te seront ôtées ». Le gars s’en va dans la direction, passe devant le préfet : « c’est bien, en voilà un qui sait ce que c’est que de réfléchir. Bienvenue à Alger, nous avons du travail pour toi. Au suivant, dépêchons ! »

Et telle la première goutte s’engouffre dans la brèche et emporte la digue, Octave Castel a montré le chemin du renoncement, de la lâcheté ou de la raison. Chacune chacun s’empressent de suivre son exemple. Tout va très vite. Une dizaine de C, autant de D. Voilà le tour de Dubois. Il entend derrière lui. « Avance nom de Dieu, c’est ton tour ». C’est l’activiste du port. Dubois sent qu’on le pousse. « Allez, avance ».

Dubois fit alors le pas attendu.

La suite demain, dans un nouvel épisode.