deuxième épisode
l’annonce faite À Dubois
« La Norine elle dit que t’es de la graine de brigands, un semeur de chenlit. Ça veut quoi dire ? »
Dubois s’arrêta de pétrir et pointa les yeux vers Joseph. « Mais t’arrêtes jamais de causer, ma parole, tu vois pas que je suis occupé ?
– Des fois tu parles quand t’es occupé. Même tout seul tu parles, alors… Et puis, ça veut dire quoi semer de chenlit ?
– Mais c’est pas ça ! D’abord, c’est chienlit, pas chenlit. Chie-en-lit : je crois que c’est une mauvaise herbe. Comme le pissenlit.
– Sauf que de pisser, on chie, c’est ça ?
– C’est ça.
– Et pourquoi que tu en sèmes, alors ?
– Mais je ne sème rien du tout ! c’est une expression. Cela veut dire que…
– Que quoi ?
– Oh mais d’abord, t’es sûr d’avoir bien entendu ?
– Pardi, ça c’est pour sûr. La Norine, elle discutait avec monsieur Flunchet. Ils se voient en cachette, pis y le font comme aux remparts.
– Mais de quoi tu parles ?
– Eh ben je dis que la Norine, elle vatenvoir monsieur Flunchet derrière, que Flunchet, il lui remonte les jupes et puis qu’ils le font debout yallah yallah comme aux remparts, à Bab-Azoun. Et après, ils discutent et Flunchet, il lui donne des choses à manger et du flouze.
– Du quoi ?
– Du flouze, des pièces. Comme tu donnes pour acheter. De l’argent, du flouze…
– Ah oui, évidemment…
– Et donc ?
– Et donc ?
– Pourquoi qu’elle dit la Norine que tu sèmes de chienlit ?
– Joseph, on dit semer du chienlit. Mais de toutes façons, je sème rien du tout.
– T’es quand même venu avec les brigands…
– D’abord, ce n’était pas des brigands, c’était des gens comme tout le monde. Coincés au mauvais endroit dans une mauvaise pièce, voilà tout. Et puis je n’ai pas envie d’en parler, c’est loin tout ça.
– Tu vas repartir ?
– Repartir ?
– En France, tu vas repartir ?
– Mais je ne sais pas, enfin, j’espère. J’attends des nouvelles. Oh, et puis tu m’agaces ! Ce que je peux affirmer, c’est que j’ai du pain à faire. Je n’ai pas de réponse à toutes tes questions, on verra, c’est tout. Tiens, tu sais, tu vas être gentil, tu vas courir où tu veux et tu me ramènes deux livres de farine. Et tu demandes à M. Dejazet de te donner l’argent. Le flouze, comme tu dis.
– J’y yalle, j’y yalle. »
Le gamin salua comiquement, fit demi-tour sur lui même et courut jusqu’à la porte. Il n’eut pas le temps de l’ouvrir : Dejazet l’avait fait avant lui.
Le pied-bot avait l’air catastrophé. Il attendait Saint-Maur. Qu’allait-il lui dire ? Comment lui expliquer ? Ô pécaïre !
Dejazet répétait répétait répétait (il s’en arrachait les cheveux, presque). Sur un bateau pour Naples ! Et il ne s’était pas méfié. Et il lui avait payé ses gages, avec trois mois d’avance et la somme de la commande ! Son patron… Sa carrière était brisée ! Et Saint-Maur ! Il en ferait une attaque ! Enfin, enfin, enfin ! C’était une catastrophe ! Et Dejazet de demander : « Et toi, tu ne t’es pas rendu compte qu’il avait foutu le camp, sans doute ? »