Quatrième épisode
une planche de salut
Dubois pas plus qu’un autre : pas un n’avait fait un pas. Lorsqu’il avait entendu l’appel de son nom, Hippolyte avait regardé à sa droite et à sa gauche. Bien qu’un peu hésitant, il s’était ensuite raidi dans une posture arrogante.
D’une voix grondante; le préfet fit appeler à nouveau. « Il suffit, dit-il, cette mascarade a assez duré. Nous nous sommes mal compris ! Que ceux qui ont leur nom cité sortent du rang ! À défaut, je devrai prendre des mesures. Mais enfin, que croyez-vous ? Je suis votre préfet… Dans sa générosité, la France vous offre une seconde chance, une planche de salut ! Ah, mes amis, les raisons pour lesquelles vous fûtes condamnés ne me regardent pas et ne vous vaudront jamais ma désapprobation. À vrai dire, le passé m’importe peu… La France compte maintenant trois départements de plus. Tout est à y faire : il n’y a rien ou presque : pas d’administration, pas d’infrastructure, pas ou peu d’habitants, encore moins de Français. En quelque sorte, nous apportons les lumières de la civilisation dans une contrée barbare et dépeuplée. Or pour accomplir cette mission sacrée, il est besoin de certaines compétences. C’est cette cause qui m’amène à vous accueillir ici, en ce jour. Seul le futur m’intéresse ! La grande entreprise qui verra la transformation d’un port barbaresque en une grande cité portuaire, dans cette baie qui est le sourire de l’Afrique ! Mes chers compatriotes, voici ce que je vous propose : de participer à ce grand chantier. Donc, monsieur le commissaire ici présent va procéder une fois encore à l’appel de vos noms. Lorsque vous entendez le vôtre, vous vous dirigerez vers la direction qu’on vous signale. Là, on vous indiquera la tâche qui sera vôtre : maçonnerie, charpente, etc. Si l’un d’entre vous n’est pas nommé mais est cependant volontaire, qu’il avance également, de l’ouvrage lui sera proposé. Il va sans dire que nous apprécierons chaque manifestation de bonne volonté et qu’à l’inverse… enfin, nous nous sommes bien compris. J’ajoute que vous serez immédiatement libérés de vos chaînes et qu’une collation vous sera offerte, grâce à la générosité de monseigneur Pavy, le très charitable et dévoué évêque d’Alger. Allons, procédons ! »
« Albert Louis, charrrrr-pentier ! un pas en avant ! ». Silence : Louis Albert ne se manifeste pas.
« Bricolet Marianne, lavandière ! Un pas en avant ! ». Silence : Marianne Bricolet ne se manifeste pas.
Au cinquième nom, enfin, Castel Octave sort du rang. Il y a comme une sorte de murmure qui accompagne le geste. « Bien, dit le héraut, tu vas par là ». Il lui montre un petit groupe de Français, deux, trois gendarmes, des prêtres et des soldats, des ouvriers avec des pinces et des tenailles : « on va te donner ton affectation, un coup à boire et tes chaînes te seront ôtées ». Le gars s’en va dans la direction, passe devant le préfet : « c’est bien, en voilà un qui sait ce que c’est que de réfléchir. Bienvenue à Alger, nous avons du travail pour toi. Au suivant, dépêchons ! »
Et telle la première goutte s’engouffre dans la brèche et emporte la digue, Octave Castel a montré le chemin du renoncement, de la lâcheté ou de la raison. Chacune chacun s’empressent de suivre son exemple. Tout va très vite. Une dizaine de C, autant de D. Voilà le tour de Dubois. Il entend derrière lui. « Avance nom de Dieu, c’est ton tour ». C’est l’activiste du port. Dubois sent qu’on le pousse. « Allez, avance ».
Dubois fit alors le pas attendu.
La suite demain, dans un nouvel épisode.