Troisième épisode
Pour un siège au bureau arabe
Depuis son arrivée sur la terre d’Afrique, l’armée française n’avait cessé de bricoler des solutions pour pallier le manque de troupes. Dans le domaine, elle avait fait preuve d’une grande créativité : intégration des anciennes troupes du dey dans le corps des zouaves et des tirailleurs algériens, fondation de la légion étrangère, enfin création d’une garde nationale composée des citoyens français d’Alger, de Bône et d’Oran. Généralement bien commandées et rapidement animées d’un bel esprit de corps, ces unités formaient maintenant l’armée d’Afrique et étaient parfaitement à même de faire face à des forces ennemies organisées, la débandade d’Abdel-Kader en était l’éclatante preuve.
Cependant, disposer d’une armée aguerrie ne suffisait plus… Bien sûr, rien ne pouvait résister aux colonnes françaises mais le problème de l’occupation en profondeur restait épineux. Sitôt que les Français quittaient une position pour une autre, les colons, les marchands et les tribus alliées étaient livrés à eux-même. L’insurrection était comme un feu de tourbe. Un odeur acre régnait partout, seules quelques fumerolles étaient visibles mais on sentait bien que le sol était brûlant et, puisque le pays était plongé dans les ténèbres de la guerre, on voyait apparaître des feus follets un peu partout dans la nuit obscure. Hanté par les embuscades, le commandement envoyait bien vite un détachement, mais c’était vouloir écraser une mouche avec le tir d’une batterie entière : cela coûtait fort cher et on arrivait le plus souvent trop tard, pour constater les dégâts et la disparition de l’ennemi.
C’est à l’initiative de Lamoricière que revient la création des bureaux arabes. Idée géniale, puisque la création des dits bureaux permettaient dans un premier temps de collecter des renseignements et de faire rentrer les contributions forcées ; dans un second temps de rendre la justice et de forcer les nomades à se sédentariser, par la persuasion ou le cantonnement obligatoire ; le tout permettant d’assurer la permanence de la tutelle française dans les zones conquises. Le principe était simple : dans chaque circonscription soumise à l’autorité de l’armée, soit la totalité du territoire à l’exception des trois grandes villes, Alger, Oran et Bône, un militaire chef de bureau exerçait son autorité toute puissante, entouré d’interprètes, de secrétaires, d’un médecin et d’une garde personnelle de spahis, de fiers cavaliers indigènes.
En parallèle, l’armée conventionnelle pouvait se spécialiser en petites unités mobiles et le gros des troupes se consacrer à des tâches telles que la construction de routes, de dispensaires ou l’établissement de colonies agricoles.
Tout naturellement, puisqu’il parlait maintenant l’arabe et le berbère, qu’il louchait franchement vers une conversion à l’islam et qu’il était tout dévoué à la cause de la colonisation, Lantrac s’attendait à une nomination dans un de ces bureaux arabes. Il eut même l’audace de réclamer celui de Médéa, belle cité aux portes de la Mitidja ; on lui promit tout ce qu’il désirait mais avant, il lui restait une mission délicate à accomplir. On cherchait des hommes sûrs pour accompagner Pélissier dans le châtiment qu’on prévoyait d’infliger aux Ouled-Riah ; l’opération devait servir d’exemple à tous ceux qui doutaient encore que le temps de l’insurrection était définitivement passé. Il fallait montrer aux barbares de quel bois on se chauffait.
La suite demain, dans un nouvel épisode.